Ildegarde
disait toujours, « j'aurais, j'aimerais, je vais, je vais faire
le vide dans mon FRIGO pour la nouvelle année » ou quelque
chose d'approchant : « Un frigo devrait pouvoir repartir à
zéro avec la nouvelle année et du même coup, moi aussi »,
elle aussi. Et du coup ça tenait pour une heure ou deux. La
nouveauté de la nouvelle année. Moi ce n'est plus mon problème
mais ces bocaux de tomates séchées, câpres, gousses d'ail
marinées, ail confit, pesto à l'ail des ours, cornichons doux et
pâtissons polonais, citrons confits pimentés, moutardes diverses...
dans mon FRIGO, paliers d'une solitude heureuse, en prévision plutôt
d'une solitude heureuse mais jamais seul et réalisée ? Et les
boites de sardines, vides ou pleines, très belles et conservées
parce que telles, les remettre à l'eau ? Comment jeter d'aussi
beaux emballages, en effet, boîtes, cartons aux joyeux motifs ou
sacs de pâtes avec des noms exotiques, sachets papiers pour fruits,
berlingots de lait avec vaches diverses et villages anonymes à peine
villages, de nulle part, bocaux vides de toutes tailles,
sublimes et lumineuses bouteilles vides, quignons de pain et si pour
leurs sublimes formes … ? Il s'agit certes là du dépôt des
choses, des peaux, du vide, de ce qui reste de nos consommations
mais, lui, l'essentiel, le stock de nourriture et son moteur la
crainte de manquer ? L'évolution de la civilisation là, dans
ce et contenu dans ce seul geste individuel : stocker, geste qui
en devient tout à fait personnel, celui d'un maniaque paraît-il.
Quelque chose du manque de nourriture est inscrit dans mes gênes
tout comme le manque tout court. La peur du manque fait manquer, la
peur du manque fait accumuler, l'accumulation ne détruit pas le
manque mais détruit ce qui est accumulé de manque, provisoirement.
C'est le principal.
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