"Celui qui est versé en jargon n'a pas besoin
de dire ce qu'il pense, ni même de le penser à proprement parler :
le jargon le lui retire et dévalue la pensée. « Authentique »
veut dire : il appartient au cœur de l'affaire que l'homme tout
entier parle. Ce faisant il advient que le jargon lui-même stylise
dans le « se produire ». La communication se referme sur
elle-même et fait de la propagande pour une vérité qui devrait
bien plutôt être suspecte en raison de la promptitude de l'accord
collectif.
Dans les groupes professionnels qui comme on
le dit accomplissent un travail intellectuel, mais sont en même
temps dépendants et subordonnés ou faibles du point de vue
économique, le jargon est une maladie professionnelle. Dans de tels
groupes une fonction spécifique s'ajoute à la fonction sociale
générale du jargon. Leur culture et leur conscience clopinent
derrière cet esprit dont ils ont la charge selon la division sociale
du travail. Par le jargon ils voudraient compenser la distance :
se recommander en tant qu'associés d'une culture tirée à quatre
épingles, aussi bien qu'en tant qu'individus ayant une essence
propre, les plus naïfs parmi eux ne se lassent pas d'appeler cela
une note personnelle, usant d'une expression ds arts décoratifs
auxquels le jargon n'a pas peu emprunté. Les stéréotypes du jargon
réassurent la mobilité du sujet. Ils semblent garantir, tandis
qu'on les a en bouche, qu'on ne fait pas ce que pourtant on fait :
on bêle avec la foule alors qu'on croit avoir accompli soi-même
l'exploit en tant qu'homme dont la liberté échappe à toute
méprise. Les manières formelles de de l'autonomie remplacent le
contenu de celle-ci."
(Theodor W. Adorno)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire