mardi 9 juin 2015

La promptitude de l'accord collectif



"Celui qui est versé en jargon n'a pas besoin de dire ce qu'il pense, ni même de le penser à proprement parler : le jargon le lui retire et dévalue la pensée. « Authentique » veut dire : il appartient au cœur de l'affaire que l'homme tout entier parle. Ce faisant il advient que le jargon lui-même stylise dans le « se produire ». La communication se referme sur elle-même et fait de la propagande pour une vérité qui devrait bien plutôt être suspecte en raison de la promptitude de l'accord collectif.
Dans les groupes professionnels qui comme on le dit accomplissent un travail intellectuel, mais sont en même temps dépendants et subordonnés ou faibles du point de vue économique, le jargon est une maladie professionnelle. Dans de tels groupes une fonction spécifique s'ajoute à la fonction sociale générale du jargon. Leur culture et leur conscience clopinent derrière cet esprit dont ils ont la charge selon la division sociale du travail. Par le jargon ils voudraient compenser la distance : se recommander en tant qu'associés d'une culture tirée à quatre épingles, aussi bien qu'en tant qu'individus ayant une essence propre, les plus naïfs parmi eux ne se lassent pas d'appeler cela une note personnelle, usant d'une expression ds arts décoratifs auxquels le jargon n'a pas peu emprunté. Les stéréotypes du jargon réassurent la mobilité du sujet. Ils semblent garantir, tandis qu'on les a en bouche, qu'on ne fait pas ce que pourtant on fait : on bêle avec la foule alors qu'on croit avoir accompli soi-même l'exploit en tant qu'homme dont la liberté échappe à toute méprise. Les manières formelles de de l'autonomie remplacent le contenu de celle-ci."

 (Theodor W. Adorno)

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