lundi 15 décembre 2014

Lumière fossile /2


         Cette année la récolte semble maigre en ce qui concerne l'objet de nos préoccupations. Parmi les livres lus au cours de l'année, peu correspondent, trouvent leur place dans ce mouvement qui nous porte vers les amis, les intimes. Pour tout dire, ces livres leurs sont adressés après une lecture aimée et décisive, et que l'affection née de la lecture doit aller vers eux, amis ou membres de la famille en droite et simple ligne affectueuse rendue à leur intelligence.

   Souvent toutefois, les livres lus ne sont pas totalement aimés, dans leur entier, par ma lecture, jusqu'au bout ; ils s'épuisent d'eux mêmes sans que l'auteur ne se rende compte de leur épuisement et du sien par la même occasion. Sans doute doit-il rendre des comptes, l'auteur, au volume, nombre de pages et poids. Quelle déception et pire quel déception pour un cadeau futur qui nous semblait si bien parti pour l'être.

   L'auteur chût dans cette partie. Cette seconde partie n'est nommée seconde et ne prend son existence que durant ma lecture et par moi. L'auteur donc, lui, s’enlisant dans son propos, se contredisant, oubliant le charme et l’exactitude à communiquer, celle du début, celle qui nous avait projeté en avant et dans un don futur plein d'élan et de plaisir, puis de plaisir à rendre dans le futur. Mais que fait-il ? Cet auteur et ce dont il traite ? Tous les deux, deviennent si lourds et insistants, si pesants du nombril si secouants de leur nostalgie commune et miroitique. L'essoufflement des personnages est brandi encore encore et encore, une fois de plus ils doivent gravir cette pente, essoufflés, dans ce ce qu'on appel roman.

    Cette seconde partie pourrie puisque c'est moi qui la nomme, n'a rien à voir avec la personne, si légère, vers laquelle on veut envoyer ce texte ce texte-livre-message-don-preuve d'affection. Hélas !

    N’offrir donc que des demis livres ? Les déchirer en leur cassant le dos, n’offrir que la première partie, la seconde étant tellement décevante quelle fait naître en nous violence plus que dégoût, une telle déception disais-je qu'elle me conduit à la torture de l'objet, au rejet excessif ? Donc, que faire ? Que faire de l'autre moitié avariée du livre une fois acheté ? Les libraires ne semblent pas d'accord, « nous ne vendons pas au détail... » M'y résoudre physiquement - car il se pourrait qu'une trace infime de respect du sacré livresque m'habite encore et retienne un instant mon geste -, l'arracher d'un geste concentré (pas évident car malgré le bâti contemporain de ces livres contemporains faits à la va-vite, ces engins résistent tout de même violemment) et n'en conserver que la première ? Nous aurions donc là, la première de couverture et tout derrière quelque chose de frileux qui bat au vent ? Peu importe cette misère brandie dans le froid, l'essentiel se tiendrait là. Et nous l'offririons.

    Plus prosaïquement et pour commencer, comment et où s'arrêter dans la lecture si plaisante et si possible avant que ça chute ? En déterminer précisément la ligne de fracture le pointillé par ou passera le violent arrachage entre deux pouces ? Quelques fois c'est très clair : là se trouve précisément le début de la fin, c'est net. Souvent ça l'est moins. Le geste est aussi difficile que de se séparer de son amante. Faut-il le faire au moment où c'est le mieux, et pourquoi le faire ? Au moment le plus fort autrement dit se retirer en plein orgasme - tu imagines le tableau les yeux ronds la tête éberluée du coïtus interruptus à des fins esthétiques ? -, ou bien, au moment où c'est le plus doux (un dimanche après midi confortable en train de manger des tartines de beurres trempées dans du Van Houten et il n'y a guère aussi délicieux pour l'heure) ? Aussi difficile que de se lever dans le petit matin froid pour échapper à une sorte de vie conjugale qui se profile, pour être en accord avec la vie dissolue et non résolue qui nous anime romantiquement comme elle anime elle-même les romans où nous nous abîmons, et d'attraper le premier bus qui nous éloignera à jamais de ce qui se trouve, de qui est, de l'autre côté de la ligne de fracture ?

   Vous êtes seul au moment de cette décision, là, personne ne vous appellera pour mettre fin à l'idylle que vous avez avec la vie tout court en vous appelant pour une garde de nuit, pour une urgence sur l'autoroute ou pour aller constater un suicide collectif à l'autre bout du territoire. Vous êtes seul, seul et il s'agit de faire un cadeau pour un autre, de la moitié d'un livre, la première moitié dite et déterminée bonne moitié parce quelle est hautement fréquentable en hautement en adéquation avec la personne que vous fréquentez et à qui est destiné le cadeau.

   




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