Mais revenons à nos moutons bergers, car les duos de bergers moutons inconstants ou fidèles, les assemblages changeants sont comme les figures imposées d’un ballet. L’espace dramatique est le lieu délicieux, il est particulièrement intéressant de le voir porté aux prés, il devient en effet une représentation animé, une parcelle animée de ce qui sera plus tard la carte du tendre. Ils broutent ils mordent en avançant la délicieuse carte du tendre, qui sera.
La chaîne des amours contrariés est la colonne vertébrale de tout ça comme le Lignon est celle du doux pays de la pièce que nos moutons bergers ont entrepris d’incarner : quiproquos complications implications duplication reduplication dédoublement disparition, toutes les contrariétés possibles, moutons bergers et moutons bergères se répartissent cette gamme très ouverte de passions et d’émotions. Mais surtout c’est l’esprit le piquant le pittoresque enjoué ou la grâce qui réunissent récits héroïques et joutes de moutons bergers.
Il n’est pas question ici d’intérêt d’Etat ni vraiment d’intrigues visant à circonvenir par la ruse des pères sévères, mais d’aimer. D’Aimer. Moutons Bergers et moutons bergères sont pris, c’est un trait essentiel, dans une chaîne d’amours contrariées. Alcidor mouton qui est pauvre aime Arténice mouton qui l’aime, tout va bien jusque là mais son père mouton veut la voir épouser le riche Lucidas mouton qu’elle n’aime pas d’avantage, Ydalie mouton déteste le satyre mouton - il y en a souvent un qui rode - aux mains duquel elle a échappé grâce à Tisimandre mouton qu’elle n’aime pas pour autant puisqu’elle aime Alcidor mouton qui ne l’aime pas mais qui aime Arténis mouton.
Des obstacles contrarient les amours, tout le temps tout le temps, les petits pattes se prennent dans les herbes raides, la laine leur est parfois mangée sur le dos, ils se trainent et palabrent, c’est même leur principale occupation, ils parlent plus qu’ils ne mangent, c’est l’Amour les amours contrariés, il faut deviser gloser et surtout la dialectique cette terreur a atteint enfin ces couches pastorales jusque là épargnées, virginales, de la population, leurs petits mentons bêlant s’agitent pour autre chose que manger en avançant, ils écoutent et commentent eux-mêmes, à n’en plus finir. C’est le jeu qu’ils s’imposent à plaisir. Car ces moutons bergers ont ceci de particulier et en commun : ils aiment et ils aiment aussi beaucoup analyser et dire l’amour, « aah dire l’Amour !... », en des monologues subtils et souvent fort beaux.
L’espace scénique est néanmoins contigu aux réalités, les contingences sont au pré de la vie des moutons bergers, le troupeau n’est jamais très loin, la tête attentive, les suivantes identiques, ce n’est pas ni le moment ni le temps des bêtes égarées ou à traire, le dénombrement du cheptel, cela viendra en son temps, en attendant se pointent des obstacles d’ordre sentimental, moutons bergers jaloux moutons bergers volages, moutons bergers timorés trop pudiques indécis, des obstacles d’ordre social, maitres maitres mauvais avec les bêtes, moutons bergers plus opulents d’autres beaucoup trop pauvres pour avoir droit au chapitre.
Mais au terme, quoiqu’il en soit Amour triomphe des entraves et traverses, moutons bergers inconstants ou traitres moutons bergers sont châtiés, tout le monde se retrouve sous les ombrages sur les berges douces du Lignon, les petites bêtes, Cassandre, Hylas, Mauricette, Adidas et les autres, curieuses de tout et joueuses reprennent leur activité normale et mâchent et mastiquent alors normalement en cadence à tour de bras, le chœur bêle une bonne fois - Hauts les chœurs ! « Fortes sont en effet les résurgences de la pastorale dans l’opéra à partir de 1673 » - et l’ombre gagne calmement sous les ombrages de l’été éternel. La nuit pastorale peut enfin descendre sur la terre du doux lieu délicieux lieu des lieux.
(Départs de Feux / CY 2012)
C'est très beau toutes ces petites bêtes laineuses amoureuses, à lire et relire
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