jeudi 25 octobre 2012

Tête de gondole

    Terrible ce qu’il faudrait d’énergie pour encourager les libraires et il semble qu’ils en ont besoin pour lire. Ce qui doit être lu c’est ce qui a été lu. Ça les aide aussi à soulever leurs lourds cartons car ils s’en plaignent. Oh pas plus qu’un galeriste qu’un dentiste ou qu’un commerçant ordinaire. Parfois, à tord mais on insiste, on croit qu’ils devraient être plus que ce peu qui se plaint qu’ils sont.
    Les livres qui ont déjà été lus sont nombreux, nombreux sont ceux qui ont lu les livres qui ont été lu mais ceux qui doivent lire les livres qui doivent être lus le sont aussi, à coup sûr plus, dans le nombre. En fait, le reste a peu d’importance, concentrons nous, recentrons.
    Pour les éditeurs, les galeristes, les dentistes, il suffit de changer de nom en cochant habilement et nous auront un résultat similaire, dans la plainte s’entend et divers symptômes afférant.
    En fait, ce qui arrive dans les cartons neufs a déjà été lu, et à la place des libraires, ça leur évite du temps perdu et de la fatigue à lire, car les cartons de livres sont déjà… et la comptabilité pénible. Mais je généralise, il y a des libraires ou des dentistes très bien, des éditeurs qui me répondent gentiment et des galeristes qui me saluent quand je passe dans leur rue.
    A leur place donc aux libraires quelque chose est lu et pour d’autres mentionnés plus haut, vu. Ça aide. Certains cependant parmi eux, osent se lancer dans le travail de lecture qui a déjà été mâché pour eux, il y a des héros des courageux et moi qui suis un sacré jaloux de la gloire à mon avis surfaite que l’on accorde aux autres, toujours aux autres et souvent les plus mauvais, je devrais respecter cela. Mais voilà qui détaille trop un texte qui se voulait avant tout politique ou bêtement social ou très personnel, très névrotique.
    Il ne faut pas arriver chez un libraire avec ton propre bouquin, jamais, et surtout si aucune voie si mince soit-elle n’a été auparavant tracée jusqu’à sa porte de libraire, tu n’existes pas, « roule-toi toujours par terre ô vers de terre » comme disait… en fait, « moi », oui oui ça me prend lyriquement parfois mais ça, on n’est pas obligé de le savoir.
    Si dans tes yeux à toi on peut lire une certaine amère jalousie prononcée devant tout ce papier à dos cartonné couvert de caractères posés dans un certain ordre et pas souvent le bon selon ton goût, voir plus haut, ce qu’on peut en tout cas lire dans leurs yeux aux libraires, c’est la panique. De même d’ailleurs pour un dentiste à la vue de tes dents saines, ou un galeriste qui n’a encore pas eu le temps de se moquer poliment du contenu de ton carton à dessin présentement fermé. Ils doutent soudainement de l’existence et soudainement de l’objet réel posé sur la tablette proche de la caisse, l’objet qu’on leur tend et surtout de ta présence tendue au bout de l’objet tendu.
    Leur seule protection et c’est compréhensible ce sera de cacher profondément ton livre tout au fond d’un rayon du magasin quand tu seras sorti, afin que la vue même de l’objet ne contamine pas la terrible et déjà si maigre clientèle. Le libraire est un commerçant et la vie est dure pour les commerçants, souvent il le répète et la dureté de la vie l’empêche de faire des choix qui lui seraient plus proches s’il les tentait, ça je comprends.
    Tu peux maintenant partir rassuré, après avoir signé ton bon de dépôt facultatif tout est en ordre. Ouf. Tu n’es pas Marc Levy.
(Making of / CY 2012)

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