lundi 11 juin 2012

Rien d'autre, ou presque

Chère B.

Je ne fais rien d’autre que d’être là. Tu peux m’imaginer chère B., je suis dans le jardin, plus exactement la partie située derrière la maison, là ou sans doute je construirai ma cabane, vers la vigne les pivoines dont la joue lourde frotte sur le sol quoique retenues par les framboisiers envahissants, sur une chaise plastique, à l’abri sous une cabane sommaire : un parasol étroit mais qui me couvre juste ce qu’il faut avant de me faire envahir par l’eau qui remonte par les pieds qui eux, nos six pieds sont posés sur une palette. Le chat a déjà mis les voiles, ici c’est vraiment trop bruyant. Ça gicle évidemment car l’eau augmente par gouttes dont le nombre fait régularité alors qu’il n’en est rien, voila mon étude des éléments, une sorte d’étude, jamais l’esprit ne s’arrête de glouglouter, surtout pas sous l’averse. Environnement sonore : claquement des gouttes là où la végétation est la plus dense, il sera beaucoup question de gouttes, sur les feuilles et non pas crépitement ou roulement de tambour miniature sur le parasol étroit, laurier cerise, coing du japon, charme, et vue sur le sapin, confiture sonore d’oiseaux, les merles remportent la palme, toute la journée bavards sous la pluie et particulièrement tenant le crachoir sous l’averse, continuellement. Puis c’est vrai ça gicle trop beaucoup trop, ma mutation en escargot ne sera aujourd’hui qu’incomplète, je rentre assister à une de mes séances de l’après-midi : Une fois rentré à l’abri complètement les pieds au sec, derrière le double vitrage, le film est quasiment muet on se fixe sur l’image et ça donne ceci : fenêtre de gauche, les feuilles du charme bougent tressautent, le temps d’acclimater la vision et vérifier qu’il pleut vraiment tout en étant sûr, en tournant la tête vers le sapin fenêtre de droite, pour les gouttes, vérification donc, en traits blanchâtres contre l’ombre elles gouttent au bout du nouveau vert tendre. Une pluie qui arriverait mais un peu vite, comme le déroulé d’une bande jacquard en accéléré, feuilles cannelées du charme tressautant tour à tour, impossible de repérer si tout cela est régulier dans le déroulement jacquard, si ce délicieux hasardeux de la pluie est justement hasardeux, quelles feuilles et quand ont elles droit à la goutte sur la tête avec un petit air résigné et modeste. Feuille qui rebondit « résignée comme une feuille », cette petite secousse qu’elle redoute, ou attend, apprécie peut-être, lui fait redresser la tête, une tête de feuille, une fois le poids passé, le choc. Cette série de mouvements de ci de là, ce côté instrument et lecture de partition à la fois et donc carton jacquard, le nombre de secousses, conduisent à un mouvement général, imprime un geste à l’arbre, ce qui permet à la feuille d’esquiver une goute par-ci une par là, comme toutes celles qui reçoivent la goutte, la goutte étant la goutte, une feuille sans mémoire, une feuille. Allons…,  le vent aide, celui qui pousse la pluie aide, pour dire mieux, si tu le veux bien, si on oublie un instant la pluie, la pression naturelle des éléments, c’est comme si chaque feuille avait une volonté propre et tressautait quand ça lui chante, indépendante de toute contrainte, voila une autre version, ceci pour les nuages à trous espacés ou le début hésitant et ralenti d’une averse, après, elles sont toutes prises de la danse de St Guy les feuilles, certaines, les unes pas les autres, toutes, soubresauts, sarabande… Ou geste tenu dans demi seconde qui précède et ceci multiplié, un oiseau invisible décolle, pèse, et la feuille se relâche catapulte tardive, la feuille rebondie c’est un peu comme ça. Le sapin de nouveau: sa respiration. Le sapin d’identique façon à la merci à l’esquive, retenu par le pied, avec le dandinement d’un pachyderme retenu par le pied, de temps à autre une zone d’excitation, le rythme se rompt dû à une accélération de l’averse, à un bris de cadence molle dans le toucher rapide du trait. Il reprend son dandinement.

Bien à toi, C.




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