jeudi 17 mai 2012

Cabane

Cabane.

… les habitants, s’il y en a, s’il y en avait, sont à la plage à la chasse ou en train de mendier dans le centre ville, ont disparus, n’ont pas d’âge précis, dînent avec leurs parents car il est l’heure, ne sont jamais revenus, certains reviendront peut-être, ce sera nous ou d’autres, les bras vides de matériaux, quelque projet en tête, quelque idée météorologique, quelque idée du son du lieu des chants, du bruissement de la faune, et une attirance pour cela.  Notez bien qu’il n’y a pas d’échelle discriminante, ni pour ses occupants potentiels, son occupant généralement, ni pour les matériaux qui la composent. Elle est là comme une évidence, toujours un peu déglinguées vétustes ou comme en construction, au vent, en atteste les lambeaux de rideaux agités…, parmi la végétation, entre deux troncs malingres, bénéficiant des appuis d’une branche ou d’un niveau de terrain, plus ou moins visible, c’est son espace et c’est l’idée de cabane qui est visible de façon essentielle. La cabane a un nom comme son état, intermédiaire, qui ne tient pas debout et pourtant elle résiste. La notion de cabane ce n’est pas la notion de maison, la notion qui abrite, la notion qui se tient plus ou moins debout d’un côté et parfaitement ancrée dans la terre quand il s’agit d’une vraie maison, de l’autre. La notion de cabane inclus un amour inconsidéré, plutôt forcé, obligé, pour le vent et les intempéries, car rien n’arrête ou peu, l’extérieur qui veut toujours se faufiler dans un intérieur, tellement déçu qu’il en sort aussitôt. La maison se languit de la cabane comme le chien du loup. La maison n’est qu’une nostalgique alors que la cabane est déjà ailleurs presque morte mais mieux. Ca sera tout pour les comparaisons, chacune a son chemin, celle-ci est au détour de celui-ci. La cabane doit se contenter. Brinquebalante, parfois solide, forcément en construction perpétuelle appelée aussi réparation, entretien calfeutrage évolution reconstruction. Elle n’est fréquentée qu’à la saison chaude, ou par intermittence à la saison froide, ce qui se nomme : curiosité et « où en sommes-nous ? ». On débouche toujours sur une cabane, elle n’est jamais étonnée. « Au détour d’un bois, à la croisée des chemins… », ces notions encore des notions, font rire la cabane. Elle pourrit tranquille. Son bois tombe, ses fils de fer rouillent, sa tôle ou son carton goudronné battent au vent. Il reste toujours quelque chose du corps de la cabane. Il suffit d’être attentif. La cabane idéale est vraiment dans un arbre, entre trois ou quatre branches même difficile d’accès, il est souvent plus difficile d’en descendre, dans une cabane on répond difficilement à l’appel des heures, des parents, des repas fixes des rendez-vous, de toute obligation. A l’origine d’une cabane il y pratiquement toujours un trait de génie architectural, même simpliste même s’il ne s’agit que d’une branche posée dans la fourche d’une autre, juste là, comme il faut. La cabane suit la pente, suit le vent, roule avec la pluie, siffle avec la tempête bat avec l’orage et se tait avec la neige. La cabane suit sa pente naturelle. Le moindre objet peut-être récupérable pour une cabane, et récupéré, surtout. Il y a le plaisir de faire des nœuds, d’entrecroiser des branches, de s’élever au dessus du sol plus que de s’enterrer, de voir le monde de là, de s’en contenter et de s’en trouver content. La cabane est toujours une nécessité, vitale, que ce soit vital pour la vie de la survie ou pour la survie du désir de vivre. Toujours. Elle existe pour cela, peuple cette réalité singulière quelle produit. Sa respiration est imperceptible, indispensable, sans son échange gazeux nous ne pourrions vivre, j’insiste. La cabane est toujours là où il faut, comme il faut, posée de la meilleure façon, souvent avec grâce. D’une certaine façon, la cabane se « fait » seule, s’auto-fabrique, se lie au paysage s’y imbrique s’y camouffle en notre absence, on peut passer à côté plus tard sans la reconnaître, elle ne se manifestera pas au-delà, elle reste où elle « est », elle se situe cabane, entourées de repères simples et mouvants, c’est justement ce qui « fait » là cabane. Là où nous repasserons elle sera, modifiée, simple trace ou magnifiée, réélaborée, disparue absorbée par le paysage, en creux, attestée par un élément au sol, pourrissant, un élément cloué flottant insistant, une cabane succèdera à une cabane, comme un lieu de culte sur un autre, on en fera une autre ici où se tenait son ancêtre en quelque sorte, un ancêtre qui n’a transmis que l’espace en creux où elle poussera, croîtra puis pourrira disparaitra, occupant ce temps propre aux cabanes, qui n’est pas forcément le notre, le même. Ce temps nous côtoie. La cabane nous précède, c’est elle qui vient vers nous, cela devient une habitude. Incrustée modestement mais durablement dans la case mémorielle qui lui correspond, elle nous fait « le coup du lieu déjà vu », elle est déjà là, c’est à ce moment à cet endroit, au détour, précisément, qu’elle apparaît au bout de la plume, au fil de l’encre, se pose et s’incruste dans l’espace blanc du papier, délimité, ne se bâtit pas de n’importe quelle façon, conservant toutefois ce côté « inachevé » qui lui donne son nom de cabane, justement.
                                    
CY

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