« Si
j’avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j’aurais choisi une société d’une
grandeur bornée par l’étendue des facultés humaines, c'est-à-dire par
l’impossibilité d’être bien gouvernée, et où chacun suffisant à son emploi, nul
n’eût été contraint de commettre à d’autres les fonctions dont il était
chargé : un Etat où tous les particuliers se connaissant entre eux, les
manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n’eussent pu se dérober
aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et
de se connaître, fit de l’amour de la patrie l’amour des citoyens plutôt que
celui de la terre.
J’aurais voulu naître dans un
pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu’un seul et même intérêt,
afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu’au bonheur
commun ; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain
ne soient une même personne, il s’ensuit que j’aurais voulu naître sous un
gouvernement démocratique, sagement tempéré.
J’aurais voulu vivre et mourir
libre, c'est-à-dire, tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n’en pût
secouer l’honorable joug ; ce joug salutaire et doux, que les têtes les
plus fières portent d’autant plus docilement qu’elles ont faites pour n’en
porter aucun autre.
J’aurais donc voulu que personne
dans l’Etat n’eût pu se dire au dessus de la loi, et que personne au dehors
n’en pût imposer que l’Etat fût obligé de reconnaître. Car quelque puisse être la constitution d’un
gouvernement, s’il s’y trouve un seul homme qui ne soit pas soumis à la loi,
tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-là et s’il a un
chef national, et un autre chef étranger, quelque partage d’autorité qu’ils
puissent faire, il est impossible que l’un et l’autre soient bien obéis et que
l'Etat soit bien gouverné ».
...
...
(Jean Jacques Rousseau - Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes - 1754)
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