dimanche 20 février 2011

36 choses à faire

36 choses à faire avant de mourir

1/ En traversant la rue je tiens serrée pliée en quatre entre le pouce et l’index le bras droit levé au dessus de la tête et les poches remplies de paprika, la recette de la goulache de mon arrière arrière grand-mère au cas où, un pare-buffle de 4X4 maladroit me renverserait; il s’agirait alors de ne pas gâcher toute cette belle viande, âgée relativement certes mais chaude encore.

2/ Buvant en bonne compagnie j’étudie la possibilité que mon verre de Santhenay 1er cru, et que ce ne soit pas un gâchis inutile, fasse une belle tache bien significative en percutant la table lorsque je m’abattrai terrassé par une crise cardiaque, ce qui fera dire aux convives et amis: « Il a voulu nous dire quelque chose… » - ce qui est aussi vrai pour tous les actes toutes les taches volontaires ou non de toutes ces nombreuses années qui ont précédé cette ultime performance – «…mais quoi ? »

3/ J’absorbe avec beaucoup de difficultés (j’aimerais vous y voir) un téléphone portable qui le moment venu, sonnera encore et encore chaque fois que quelqu’un fera le numéro des renseignements. Ainsi une mélodie absolument insupportable que je n’aurais moi-même pas supporté de mon vivant sortira du cercueil au milieu d’un certain recueillement de circonstance (« Hé dans le fond, je vous vois ! »).

4/ Descends-je acheter un bon bon bon cigare à la cave à cigares la plus proche ? Ce genre de feuilles parfumées et bien bien bien roulées que j’avais arrêté de fumer il y a un sacré bout de temps, oh coïncidence, par peur de mourir ?

5/ Bois-je un dernier bon whisky ou une prune du pépé de TG ? J’ai peur de n’avoir envie de rien à ce moment ultime, voyons…

6/ Ou un verre d’eau l’équivalent d’une sorte de rien ?

7/ Je viole une jeune japonaise ah ça oui, qui passe par là toujours avide d’apprendre quelques mots de français en souriant… mais obligé je suis, oh misère triste, de la tuer au cas où je ne mourrais pas tout de suite et qu’elle décide à juste titre de porter plainte, (Non mais…).

8/ Je note au stylo bille bleu sur le dos de ma main gauche, le code d’entrée du paradis, St Pierre l’oubliant toujours au moment où ce n’est pas le moment.

9/ Je fais l’amour bien sûr, ce lieu commun est des plus tenaces, mourir en éprouvant le plaisir le plus fort du monde est la plus belle des choses qui soit. Pourtant un chat n’est pas un chat et certaines séances peuvent virer au cauchemar, alors… il est bien connu que chacun souhaiterait mourir de cette façon ou pendant cette façon si on est obligé de mourir, s’activant à l’aide d’un autre corps ajouté au sien, mais comme il s’agit d’un lieu commun je me demande si je ne vais pas faire autrement.

10/ Une amie très chère se propose comme victime ou comme La dernière femme ce qui est très beau. Pour marquer le coup je fais un caprice, oui en un tel moment et je refuse son offre… c’est tout à fait moi.

11/ Je botte le train pour qu’il déraille et je constate encore une fois de plus l’impuissance des mots à aboutir à quoi que ce soit, à œuvrer pour quoi que ce soit de façon sérieuse.

12/ Je revêts une tenue seyante, élégante et sans doute les deux à la fois, même dans ma baignoire au cas où, imprudemment, je devrais subitement changer une ampoule comme ce chanteur un tantinet hystérique et imprudent né à Alexandrie qui jadis… et que la mort vienne me cueillir sous la forme de fée électricité plus tôt que ce qui était prévu.

13/ Je répare, absolument nu, debout au sommet de l’escabeau, le rideau à tirette qui fait des siennes. Pour cela, pour agrémenter le futur autrement dit la fin de la suite, je découpe deux oreilles d’éléphant en carton que je colle à la racine de mon sexe sur lequel j’ai dessiné deux yeux verts expressifs, afin qu’en cas d’accident, la ficelle du rideau pouvant malencontreusement s’entortiller autour de mon cou si je chutais, mon éléphant ait belle allure à la réception.

14/ J’assassine enfin Qui vous savez, pour le bien être de tous. Je me bourre les poches de boules puantes, et quand le service d’ordre heureusement tardif me plaque au sol et que mon artère fémorale me vide de mon sang à gros bouillons, mon poids les éclate en masse. Les journalistes reculent. J’ai gagné.

15/ Je m’entrainer à mourir comme je m’entraine depuis 55 ans, rien de neuf.

16/ Je me récite une litanie comme un poète de mes amis « pour ne pas mourir » tout en cultivant un demi sourire digne de la Joconde, figé. Le but serait de le garder à l’identique sur mon visage jusqu’après l’instant plus que fatidique, comme une énigme supplémentaire mais quelle prétention de prétentieux, bigre ! C’est difficile, car l’instant n’est pas à la rigolade.

17/ Je me chatouille, ça marche moyen (accent savoyard).

18/ Je ne fais absolument RIEN, ce qui ne m’est jamais arrivé à ce jour.

19/ Je me remémore tous les gens agréables que j’ai connus.

20/ Non.

21/ Les femmes que j’ai plus ou moins connues de Fernande à Léonore.

22/ Non.

23/ Dans tous les cas, sous mes paupières, défile le générique de fin: toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite.

24/ Je revêt le costume de Zorro. Comme ça, en ôtant le masque recouvrant mes yeux de cadavre frais, on s’apercevra que c’était moi, Zorro. Et non pas l’autre.

25/ Je n’allume ni l’ordi ni ne répond au téléphone, il n’est pas question que j’obéisse à quelque machine que ce soit, je n’ai jamais supporté ça et encore moins aujourd’hui là tout de suite et pour je ne sais combien de temps.

26/ …36, 36, vous y allez un peu fort !

27/ La mort a un projet pour moi, ah bon ? Le miens n’est peut-être pas le même que le siens ? Si ? On est indissociable… ? Ah bon.

28/ Comment faire quelque chose quand tu sais (cette commande de HB est comme une annonce) que tu vas mourir, là est bien la question ?!

29/ Je répare mon vélo, mon bon vieux VTT première génération, les câbles de frein surtout, ce qui me fait sourire, pour laisser quelque chose d’utile et d’abouti.

30/ Leur mémoire de moi n’est pas la même que la mienne alors pourquoi modifier les quelques traces accumulées pour eux, les enfants ? Je laisse tout en état et en tas.

31/ Ooh j’ai déjà fait pas mal de choses…

32/ Ne nous pressons pas.

33/ Je confie la redoutable mission à HB de lire ce texte lors de mon enterrement s’il y en a un, dans le genre traditionnel plus ou moins agnostique avec baratin et chansonnette au milieu des larmes.

34/ Je retire ce que je viens de lui dire, pas d’ultime exploitation des vivant par moi défunt.

35/ Et pourtant…

36/ Je me réveille juste à temps pour constater (oh surprise !) que je suis immortel. Ca vous en bouche un c

(Nuit/Paris du 18 octobre 09).

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